Il y a quelques semaines, Club Shôjo m’a proposé de participer à la Semaine du shôjo au travers d’un article répondant à la question : qui est la meilleure shôjo mangaka et pourquoi ?
J’ai rapidement compris qu’il me serait totalement impossible de répondre précisément. J’ai trop lu de shôjo lors de ma découverte du manga et je n’en lis plus assez désormais… Qui plus est, je ne sais pas si c’est à cause des 10 Mangaverstivals organisés mais je ne peux plus aujourd’hui établir de classement de préférence. Je préfère garder en mémoire des œuvres qui ont su me plaire ou me toucher au moment de la lecture sans chercher à savoir laquelle serait la meilleure…
Par contre, ça m’amène une autre question, proche : quelle shôjo mangaka a été la plus marquante pour moi ces dernières années ?
Il y a 10-15 ans, j’ai commencé à lire du manga. À l’époque, la gageure n’était pas de choisir une série mais de réussir à trouver tous les volumes, avec comme seule possibilité le petit rayon manga planqué au fin fond du magasin de jeux vidéos du coin. Mes premières lectures ont alors été plutôt shôjo : Saki Hiwatari, Yuu Watase et Clamp qui allait devenir omniprésent dans les rayonnages quelques années plus tard. Des mangaka importantes pour le shôjo en France mais suffisamment marquantes ? Peut-être pas, même si elles ont été un bon jalon pour moi à l’époque…
Puis au fil des années, organisation du marché manga français, ouverture de magasins spécialisés, accès à des boutiques internet et offre qui se diversifie. Yumi Tamura et Basara, Fuyumi Soryo et Mars, Akimi Yoshida et Banana Fish, Natsuki Takaya et Fruits basket, Ai Yazawa et Nana, Setona Mizushiro et X-day… Rien à redire, du beau, du classe, du grandiose même parfois. Mais non, toujours pas LE petit truc en plus…
Puis, le Ladies et le yaoi s’invitent aussi, Yayoi Ogawa et Kimi wa pet, Yuki Yoshihara et Ai suru hito, Marimo Ragawa et New York New York, Erica Sakurazawa et Body & Soul, Kiriko Nananan et Everyday, Kaori Okazaki et Helter Skelter… Ah, on s’approche.
C’est en 2004 que sort Déclic amoureux de Mari Okazaki chez Akata/Delcourt. Un one-shot qui semble n’être encore qu’un énième manga d’amourettes de lycéennes vaguement rebelles… Les premières pages ne sont pas évidentes, les personnages pas forcément très sympathiques et le dessin, les visages, les lèvres notamment… Angelina Jolie n’a qu’à bien se tenir !
Mais au fil des pages, la magie opère. La narration éclatée, n’aidant a priori pas à la lecture, permet de plonger au plus près de l’intimité des personnages. Ceux-ci se dévoilent, se découvrent, se déchiffrent au fil de leurs pensées et de leurs doutes. Et surtout de leur envie d’exister, au travers du regard des autres, de se libérer de la monotonie et de l’ennui, de trouver un but, un absolu à atteindre quoiqu’il en coûte. Une soif inextinguible de vivre et de tout ressentir à fond, des larmes les plus profondément tristes au bonheur le plus éblouissant. Voilà, je tiens ma découverte marquante !
Au fil des mois, grâce à l’exclusivité voulue par la mangaka, Akata/Delcourt va faire défiler 10 de ses œuvres dans son catalogue. Peu de chance de voir d’autres séries sortir désormais, le succès commercial n’étant apparemment pas vraiment au rendez-vous. Et pourtant…
Pourtant, au fil de ces titres, là où d’autres préfèrent parler uniquement d’amour, d’un amour souvent romancé et idéalisé, Mari Okazaki parle plus globalement des femmes, qui sont au cœur de toutes ses histoires.
Des photographes de Déclic amoureux aux copines d’une agence de pub de Complément affectif, de la lycéenne amourachée de son prof à celle qui explose d’extase dans les bras d’un inconnu, de love hotel en appartement cocon-prison… Mari Okazaki nous offre les multiples facettes d’une féminité en constant renouvellement. Amoureuse éperdue, récente larguée, copine trompée, mariée joueuse, lycéenne paumée, toutes nous dévoilent leur vie, leurs pensées, leurs failles, leurs rêves, leurs fantasmes et surtout leur réalité.
Celle de lycéennes tour à tour naïves et sexy, candides et ambiguës, colériques et amoureuses, perdues et jalouses. Des gamines qui attendent tout (trop ?) de la vie mais prêtes à se démener pour l’obtenir.
Celle de femmes dans le monde du travail, organisées mais débordées, travailleuses acharnées, indépendantes forcenées, abordant de front courageusement des questions fondamentales sur l’autonomie, le sens à donner à sa vie, par quels moyens, à quel prix, jusqu’où aller…
Au final, si les hommes finissent par aussi avoir leur place dans les histoires de Mari Okazaki, ce sera toujours aux femmes de mener la danse, au delà de la souffrance, de la tromperie, de la jalousie, des pertes d’équilibre, des tentations morbides, avançant envers et contre tout sur une route qu’elles se seront choisies, qu’elles auront elles-mêmes creusées.
On est ici bien loin de la femme docile, soumise, restant en arrière-plan, de la potiche énamourée incapable de la moindre initiative, de la simple cogneuse qui n’attend qu’un grommellement du premier ténébreux en chasse pour se transformer en masochiste voyant dans le mépris et les réprimandes de son mec la preuve de son amour (très très) caché. Les femmes qu’Okazaki met en scène ne sont jamais misérabilistes ou pathétiques, mais belles et magnifiques, tour à tour tragiques et légères, torturées et espiègles, maîtresses de leur propre vie.
Pour raconter les histoires de ses héroïnes du quotidien, Mari Okazaki, diplômée de l’Université des Beaux-arts de Tama et dessinatrice dans une agence de publicité avant de se consacrer à plein temps à ses mangas en 2001, propose un trait très personnel. S’il a gagné en finesse, en clarté et en élégance au fil des années, il n’en dégage pas moins toujours autant de sensualité, nous amenant au plus près des corps, des vêtements, des plis des draps, illuminant les gestes, les silhouettes, travaillant les poses, les regards. Un trait qui me fait penser à celui de Georges Asakura sur À fleur de peau, là aussi très “tactile” même si ce dernier joue moins la carte de la finesse pour plutôt développer l’expressivité de ses personnages.
Un tel type de trait pourrait facilement n’être utilisé que pour des poses lascives et autres histoires chaudes avec gros plans sur les culottes… et si Mari Okazaki a déjà proposé une série érotique, Dernier soupir, et inséré quelques plans assez suggestifs dans certaines séries, elle n’en a pas pour autant fait de ses héroïnes des victimes, des passives godiches attendant béatement le “mâle” pour découvrir le sens de leur vie.
Au fil de ses œuvres, Mari Okazaki nous invite dans un univers très féminin qui ne reste pas pour autant obsédé uniquement par la taille des faux ongles ou la couleur du dernier vernis. Toutes ces femmes, rencontrées au fil des pages, heureuses ou en souffrance, seules ou accompagnées, lycéennes ou employées, racontent leurs histoires sans fard ni complaisance, avec lucidité et subtilité, ne craignant pas de tomber, de se tromper pour toujours mieux se relever et avancer. Avec souvent beaucoup d’humour, de dérision, sans jouer avec un éventuel statut de victimes, n’attendant personne pour les secourir mais ouvertes aux rencontres amicales et amoureuses pour les soutenir, avec leurs folies et leurs colères, leurs forces et leur courage, leurs rêves et leurs désillusions, elles NOUS racontent, au delà des différences de nationalité, de culture, de statut, de métier.
Ainsi, avec au départ un simple one-shot qu’il a fallu apprivoiser pour mieux en ressentir les subtilités, Mari Okazaki reste pour moi une auteure marquante, touchante et émouvante, drôle et étonnante, au trait unique fascinant, que je vais regretter de ne plus pouvoir découvrir davantage dans les rayons des librairies.
(Ce qui n’empêche que son œuvre la plus importante sera l’objet d’une prochaine chronique)
Titres de Mari Okazaki parus en France chez Akata/Delcourt (nb de volumes – mois de parution du 1er tome en VF) :
Déclic amoureux (1 vol. – 07/2004) – BX (1 vol. – 10/2004) – Le Cocon (1 vol. – 01/2005) – 12 mois (2 vol. – 04/2005) – Après l’amour, la sueur des garçons a l’odeur du miel (1 vol. – 08/2005) – Complément affectif (11 vol. – 01/2006) – Vague à l’âme (1 vol. – 03/2006) – Shibuya Love Hotel (4 vol. – 04/2007) – Dernier soupir (2 vol. – 07/2007) – Effleurer le ciel (1 vol. – 11/2007)
Voici la liste des articles des autres blogs participants à la Semaine du shôjo 2014 :
– Ma petite médiathèque
– Manga Shojo
– Hana Borderland
– Instantané
– Le monde du boy’s love
– Paoru
– Heaven Manga
– Les chroniques d’un newbie
– Nuits sans sommeil
– L’antre de la louve
– Les chroniques de Miawka
– Manga Suki
– Yaoi Cast
– Club Shôjo
(liste mise à jour au fur et à mesure des publications)
Cet article est vraiment un bel hommage =)
D’autant plus que je ne connaissais pas Mari Okazaki, je vais donc m’empresser de corriger cette erreur ^^
(HS : New York New York a été mon premier yaoi je crois, je l’avais complètement oublié jusqu’à ce que tu le cites =) )
Ton article est très intéressant et me donne envie de découvrir Mari Okazaki. A l’époque où ses mangas sont sortis en France, ils ne m’intéressaient pas vraiment. Je crois que j’étais encore trop jeune pour comprendre et apprécier la complexité des personnages. Mais maintenant que j’ai lu ton article, je me dis que ses œuvres pourraient bien me plaire !
PS : Saki Hiwatari avec Please save my Earth et Yumi Tamura avec Basara m’ont également marqué. Je les avais adoré ! (et comme Hana, New York New York a été mon premier yaoi XD)
J’y pensais depuis un moment à relire Mari Okazaki. J’avais lu chaque one-shot à sa sortie, en l’empruntant à quelqu’un. Je n’ai plus de souvenirs et c’est bien loin. Mais ce post m’a redonné envie de lire Le Cocon et je l’ai trouvé plus qu’excellent. En le lisant, je me rends compte que tu as raison dans cette analyse des oeuvres d’Okazaki avec la femme comme vrai point central. Je ne l’avais pas vu ainsi à l’époque 🙂 . C’est vraiment un excellent article et une mangaka à découvrir (ou redécouvrir).
J’ai découvert Mari Okazaki dans les previews des fins des manga de Delcourt mais je ne l’ai pas encore lu. Il faudra que je remédie à ça. ^^